La Grande vague de Kanagawa, de l’artiste Hokusai, figure parmi les œuvres d’art les plus célèbres mondialement. Cette estampe japonaise est un excellent exemple de la pratique de l’ukiyo-e et inspire les observateurs et les artistes depuis environ 200 ans. Si la Grande Vague est facile à reconnaître, nombreux sont ceux qui ne connaissent pas sa signification et son histoire. Entre influence japonaise, arts asiatiques et culture occidentale, découvrez comment Hokusai a conçu sa célèbre Grande Vague de Kanagawa.
Qu’est-ce que la Grande vague de Kanagawa ?
La Grande Vague de Katsushika Hokusai, la Joconde nationale du Japon est adulée en Europe dès le XIXème siècle. Elle demeure le plus célèbre exemple de la puissante simplicité des estampes japonaises. D’une redoutable efficacité, sa composition, ainsi que son mouvement vous embarque sur une mer totalement déchaînée prête à vous engloutir. Tassée en une multitude de griffes aiguisées, l’écume de la vague projette comme une pluie de flocons de neige. Saisi en pleine tempête, son profil stylisé est si prenant qu’il s’imprime dans les esprits de manière durable. Estimé à 14 mètres de haut cette monstrueuse vague ne fera qu’une bouchée des pauvres pêcheurs et du sommet glacé du mont Fuji, rendu petit grâce à l’effet de perspective.
La Grande Vague de Kanagawa est une gravure sur bois yoko-e que le peintre et artiste japonais Katsushika Hokusai a créé durant la période Edo. Il s’agit de la première pièce de la série des 36 vues du mont Fuji, des gravures ukiyo-e révélant le plus haut sommet du Japon sous divers angles.
Dans cette pièce, le mont Fuji est encadré par une monstrueuse vague et vu depuis la mer. La vague, ainsi que son écume sont sur le point d’écraser des pêcheurs et leurs embarcations. Cette houle qui domine la toile, éclipse à la fois un trio de bateaux et la montagne et inspire le titre de la Grande Vague.
La Grande Vague de Kanagawa a connu un grand succès, plusieurs reproductions de cette œuvre d’art ont ainsi vu le jour. Des simples illustrations à la calligraphie, au bois gravé, plusieurs collectionneurs se ruent sur les produits dérivés.
La signification du Tableau de la Grande vague de Kanagawa
Si de nombreuses personnes ont déjà vu cette œuvre de nombreuses fois, peu sont celles qui ont vraiment pris le temps de l’observer. Malgré la simplicité de son apparence, en réalité ce tableau est une merveilleuse complexité. Il suffit par exemple de remarquer la mer et le ciel qui prennent de manière respective la moitié de l’œuvre. La vague tourbillonnant effectue un cercle dont le milieu pourrait être le centre du tableau. Ce qui rappelle largement le symbole du Yin et du Yang. Ainsi, ce tableau serait une évocation directe des principes bouddhistes et taoïstes. En d’autres termes, vous y voyez un espace fait de brutalité et de violence, contrastant avec le calme paisible du ciel, telle une métaphore de la dualité humaine.
Certaines personnes y voient une main effrayante, voire même un dragon. Une théorie plausible, d'autant plus qu'Hokusai, quelques années auparavant, avait peint des mangas fantomatiques. Tout le monde connaît ses œuvres au Japon, et il existe des similitudes stylistiques évidentes entre l’estampe de la Grande Vague et certaines créatures antérieures de son œuvre.
Enfin, regardez comme la vague la plus haute se disperse. Chacune des extrémités de la vague reprend la forme de la vague elle-même. Une composition qui évoque une notion méditative, impalpable et d’infini.
Comment a été fait le tableau de la Grande vague de Kanagawa ?
Le tableau de la Grande Vague de Kanagawa est une estampe gravée sur bois. Autrement dit, il existe un modèle original sur bois, pouvant ensuite être reproduit à l’infini. Ceci explique pourquoi la Grande Vague de Kanagawa est présente dans plusieurs collections de musées à travers le monde : au Musée Guimet à Paris, au British Museum à Londres ou encore au Metroplitan Museum de Nex York.
Cette technique permet principalement de faire de grands aplats de couleur aux diverses nuances. Ainsi, le bois creusé en différents endroits reçoit une couleur unique se diffusant ensuite sur toute la surface. Grâce à cette technique, le résultat est très stylisé. C’est exactement ce que vous pouvez voir dans le traitement de l’écume paraissant presque zébrée.
Autre atout non négligeable, c’est un procédé permettant une reproduction plus facile. Moins chère à produire, l’estampe se diffuse aisément.
Ce tableau est aussi un témoin de l’influence occidentale commençant alors à intégrer les arts japonais. Dans la Grande Vague de Kanagawa, Hokusai applique les règles de la perspective, tout en respectant la tradition japonaise. Ce tableau est une interprétation japonaise des règlements de la peinture occidentale.
Un autre élément moins visible est à noter, mais demeure important : l’apparition du bleu de Prusse. C’est un bleu plus acide et plus intense que le bleu indigo utilisé traditionnellement. Intégrée tout juste à cette époque, la Grande vague de Kanagawa est l’une des premières estampes à se servir de cette couleur. Captivante, voire presque magnétique, cette nuance particulière a participé au succès de cette estampe.
Description de cette magnifique estampe japonaise
De nos jours, la Grande Vague de Kanagawa est partout. Il est possible de la retrouver aussi bien sur des timbres de postes, des billets de banque de 1000 yens ou encore des chaussettes. Elle a aussi inspiré les artistes contemporains aimant lui rendre hommage ou la détourner grâce à des éléments décalés ou comiques. Ce tableau est une véritable icône qui mérite d’être décrite comme il se le doit.
La vague
Si impressionnante et imprévisible qu’elle a donné son nom à l’œuvre, la vague représentée dans le tableau a de quoi donner le vertige. Et pourtant, ce n’est pas une, mais deux vagues occupent plus de la moitié de cette estampe. En effet, au premier plan, ces monstres de la mer ont une hauteur de 14 mètres. Il est évident qu’ils attirent le regard des spectateurs, comme aspirer au creux de la vague. Colorées en blanc et bleu, ces vagues sont prêtes à capturer leur proie.
Sous l’écume aux doigts curieusement crochus, le bleu de Prusse est sur le point de tout avaler. Et ce ne sont pas les trois bateaux de pêcheurs qui vont l’en empêcher. Bien que l’œuvre soit en deux dimensions, la précision du travail de perspective est incroyable. Inspiré par les peintres d’Europe, Hokusai apporte de la profondeur à son estampe et n’hésite pas à mettre le mythique mont Fuji au second plan.
Le mont Fuji
Il n’est plus à rappeler que le mont Fuji est la plus haute montagne du Pays du Soleil-Levant et a pendant longtemps été considéré comme sacrée. Souvent, Hokusai est décrite comme ayant un attrait personnel pour la montagne, suscitant ainsi son intérêt pour la réalisation de cette série. Toutefois, il répondait aussi à un essor des voyages intérieurs, ainsi que du marché correspondant pour les images du mont Fuji.
Généralement, les estampes japonaises sur bois étaient achetées en tant que souvenirs. Initialement, le public des estampes de Hokusai comprenait des citadins ordinaires, fidèles du culte du Fuji, qui effectuaient des pèlerinages, afin de gravir la montagne, ou des touristes qui visitent la nouvelle capitale. Même si, aujourd’hui, les gratte-ciel de Tokyo voilent la vue du mont Fuji, pour le public de Hokusai, le sommet de la montagne pouvait être vu de l’autre côté de la ville.
Les bateaux de pêcheurs
Le tableau représente trois barques prises dans une forte tempête. Les embarcations sont des oshiokuri-bune, des bateaux rapides servant à transporter par la mer du poisson des villages de pêcheurs des péninsules de Boso et d’Izu vers les marchés aux poissons de la baie d’Edo. Ce transport de marchandises se veut certainement être le symbole du quotidien du Tokyo du XIXème siècle. D’ailleurs, comme son nom l’indique, la scène du tableau se passe dans la préfecture de Kanagawa, se trouvant entre Tokyo au nord, la baie de Sagami au sud, les reliefs du mont Fuji au nord-ouest et la baie de Tokyo à l’est. Orientés vers le sud-ouest, les bateaux reviennent alors de la capitale à vide. Il y a 8 rameurs par barque, cramponnés à leurs rames, qu’ils ont pris soin de relever. À l’avant de chaque embarcation, deux passagers supplémentaires sont présents, ce qui au total, représente trente hommes. Les bateaux font environ 12 m de long. Les marins sont pris dans une forte tempête et ont peu de chances d’en échapper.
Le bleu de Prusse, un bleu spécial
Le bleu de Prusse occupe 20% de l’estampe. Et il faut dire que ce n’est pas n’importe quel bleu. Il couvre la composition au rythme de la vague de Kanagawa. Il s’agit d’un pigment bleu réputé bon marché importé de Hollande. Il offre une tonalité nouvelle à l’artiste japonais.
L’analyse de l’œuvre de la Grande vague de Kanagawa
Hokusai assemble et réunit dans l’œuvre de la Grande vague de Kanagawa divers thèmes qu’il apprécie particulièrement. Le Fuji représenté telle une pointe blanche et bleue ressemble à une vague, qui fait écho à la vague du premier plan. Le dessin est tissé de courbes : rides qui s’incurvent au sein des vagues, surface des eaux se creusant, pentes du Fuji et dos des lames. Les courbes de l’écume de la grande vague créent d’autres courbes se divisant à leur tour en de nombreuses petites sous vagues qui répètent l’image de la vague mère. Cette dissociation en fractale peut être estimée comme une représentation de l’infini. Les visages des pêcheurs forment des taches de couleur blanche, illustrant les gouttelettes d’écume que la vague projette.
Dans une approche entièrement subjective de l’œuvre, parfois, cette vague est présentée tels une vague scélérate ou un tsunami. Mais elle est également décrite telle une vague fantomatique et monstrueuse, au squelette blanchâtre, qui menace les pêcheurs de ses griffes d’écume. Cette fantastique vision de l’œuvre évoque que Hokusai est un des maîtres du fantastique japonais, comme le révèlent les fantômes hantant les carnets des Hokusai Manga. En effet, l’analyse de l’écume de la vague à gauche montre plus de mains griffues sur le point de s’emparer des pêcheurs que la frange blanche d’une ordinaire vague, comme à droite de l’estampe. À peine deux ans après la Grande Vague, dès les années 1831-1832, Hokusai fait appel aux thèmes chimériques de façon plus explicite avec sa série Hyaku monogatari.
Cette image rappelle d’ailleurs d’autres œuvres de l’artiste. Le profil de la vague révèle un dragon géant, dragon que l’artiste peintre dessine souvent, principalement celui du Fuji. La vague est telle la mort fantôme juchée au-dessus des marins condamnés, dressant ses bras, ses replis et ses plis, comme le fait les tentacules de la pieuvre, un animal hantant Hokusai aussi bien dans ses images érotiques que ses mangas.
D’autres analogies sont également retrouvées dans ce tableau. En effet, les éclats de l’écume se transforment en becs, serres d’oiseaux de proie, mains aux doigts crochus, mandibules d’insectes, crocs et mandibules acérés.
Le travail sur la perspective et la profondeur spatiale est aussi à noter, avec le contraste élevé entre le premier plan et l’arrière-plan. Les deux grandes masses visuelles occupant la violence de la grande vague, l’espace s’opposant à la sérénité du fond vide, pouvant faire penser au symbole du Yin et du Yang. Impuissant, l’homme se débat entre les deux. Une allusion au bouddhisme, ainsi qu’au taoïsme est donc présente. Les choses conçues par l’homme sont éphémères à l’image des bateaux que la gigantesque vague emporte. Il y a également une allusion au shintoïsme : la nature est toute puissante.
Le contraire complémentaire du Yin et du Yang se traduit aussi au niveau des couleurs. Le bleu Prusse s’oppose au jaune rosé de l’arrière-plan, la couleur complémentaire. Que ce soit au niveau des couleurs et des formes, la symétrie de l’image est quasiment parfaite.
Qui était l’artiste Katsushika Hokusai ?
Katsushika Hokusai voit le jour à Edo en 1760 au Japon. L’ère de l’Edo a vu se succéder de nombreux artistes au Pays du Soleil-Levant, comme Utagawa Hiroshige, graveur, artiste peintre et dessinateur japonais. De son vivant, l’artiste a reçu plusieurs noms différents. Aujourd’hui, il est connu sous le nom de Hokusai. Il a découvert les estampes occidentales intégrées au Japon par le biais du commerce hollandais. Hokusai s’est intéressé à la perspective linéaire à partir des œuvres d’art néerlandaises. L’influence de l’art néerlandais se manifeste aussi dans l’usage d’une ligne d’horizon basse, ainsi que de la couleur européenne dont les pigments sont bien distincts, le bleu de Prusse.
Hokusai s’est intéressé aux contrastes du lointain et du proche, aux angles obliques, ainsi qu’aux contrastes du naturel et de l’artificiel. Ils peuvent être constatés dans « Sous la vague au large de Kanagawa » par l’assemblage de la grande vague au premier plan éclipsant au loin la petite montagne et par l’intégration des bateaux et des hommes au centre des puissantes vagues.
Les 36 vues du mont Fuji
Vers les années 1830, au XIXème siècle, Hokusai, âgé de 70 ans, a produit les 36 vues du mont Fuji. Au sein de cette série, il propose des aperçus des paysages japonais, principalement du mont Fuji depuis divers points de vue et à diverses périodes de l’année. Les gravures sur bois de cette série sont connues pour la richesse de leurs couleurs, notamment leurs tons bleus, que Hokusai a obtenu à l’aide d’un procédé compliqué de gravure en plusieurs blocs.
L’usage sophistiqué de différentes teintes de bleu est une caractéristique bien distincte de nombreuses estampes originales de la série des 36 vues du mont Fuji dont la Grande Vague appartient. Au moment où a été produite cette peinture japonaise, il y avait une demande pour le bleu de Prusse ou le bleu de Berlin, importé d’Europe. Des analyses scientifiques ont depuis démontré que l’indigo traditionnel et le bleu de Prusse ont été utilisés dans la Grande Vague de Kanagawa afin de créer des dégradés subtils dans la coloration de cette composition.
Conçue au sommet de sa carrière, 36 vues du mont Fuji est estimée comme étant l’une des plus importantes productions de Hokusai, et l’artiste lui-même le confirme. Selon lui, tout ce qu’il a produit avant l’âge de 70 ans ne mérite pas d’être pris en considération.